Soleil et bactéries (7)
Du 27 mars au 6 avril
Par une des dernières matinées du mois de mars, notre vélo rouge avance tranquillement vers le nord, toujours sur les petites routes du Trièves. Aux abords du village de Saint-Paul-lès-Monestiers, nous bifurquons soudain à gauche pour nous engager sur un chemin de gravier blanc entouré de champs. Il semble prendre la direction d’un grand bâtiment en bois vitré sur ses faces Sud et Est et dont le toit en polycarbonate brille sous le soleil.
En nous approchant un peu plus, nous apercevons une intrigante parabole métallique qui ne nous laisse plus de doutes possibles : nous sommes bien arrivés à la ferme Tournesol !
Installé sur ce lieu depuis 10 ans, Jean-Philippe y a mis en place dans un premier temps une activité d’élevage de brebis dont la viande d’agneau est destinée à la vente. Sophie quand à elle, façonne chaque semaine deux fournées de pain au levain dans un four mobile, accolé à une petite roulotte en bois. Pour leur consommation, ils cultivent des légumes, des fruits et produisent des fromages et du yaourt avec le lait de leurs quelques chèvres. Des céréales sont aussi cultivées sur leurs parcelles, dans une terre bien argileuse qu’ils ont appris petit à petit à apprivoiser. Jusqu’à l’année 2017, tout le pain était fait à partir du blé produit sur la ferme. Pour l’instant, la production de farine est en suspens car la ferme est encore en phase de reconstruction suite à un important incendie qui a eu lieu en 2017, mais la mise en place d’un nouveau moulin est dans les tuyaux !
Avec toutes ces productions diversifiées et les conserves qui vont avec (confitures soupes, coulis, compotes, choucroute etc…), la ferme Tournesol arrive à assurer une autonomie sur les produits alimentaires de base pour une famille de 4 personnes + tous les amis et autres cyclistes de passage sur ce lieu durant l’année.
Alors les courses sont rares et la liste est courte !
Mais ce qui fait la singularité de la ferme Tournesol ce sont les différents systèmes permettant son autonomie énergétique (ou partiellement pour les puristes de l’énergie grise !). En effet, depuis son installation, Jean-Philippe a mis en place et expérimenté de nombreuses méthodes pour produire sur place l’énergie nécessaire à la ferme ainsi qu’à la maison d’habitation.
Cet ancien ingénieur en électronique n’a pas froid aux yeux quand il s’agit de tester de nouveaux dispositifs ou de remettre au goût du jour des techniques un peu oubliées. Cela fait de la ferme un lieu précurseur où l’on ne cesse d’apprendre, d’améliorer et d’expérimenter sans retenue ses idées.
Sans trop rentrer dans les détails du fonctionnement, voici la liste de quelques unes de ces installations :
– Serre à coussin d’air + habitation à l’intérieur + toit végétalisé : C’est une serre rigide en polycarbonate dont le toit est une poche gonflable. Cela permet de conserver en permanence une épaisseur d’air qui sert d’isolant et limite les pertes de chaleur ou les variations de température trop rapides. Sous la serre, une habitation avec des murs en terre-paille et un toit en terre a été construite. L’hiver, la serre chauffe la journée et réchauffe ainsi l’habitation, il faut juste penser à refermer les portes lorsque la température redescend le soir. L’été, il suffit d’aérer la serre et de fermer l’habitation pendant la journée puis d’ouvrir la nuit et refermer au petit matin pour garder la fraîcheur nocturne à l’intérieur. L’avantage d’utiliser la terre comme matériau de construction est double : d’une part elle a beaucoup d’inertie thermique (elle refroidit ou se réchauffe très lentement) ce qui conserve bien la chaleur l’hiver et la fraîcheur l’été et d’autre part on n’a pas besoin d’aller bien loin pour en trouver et pour pas cher ! Et en plus, les pertes de chaleur par le toit n’en sont plus car elles peuvent être utilisées pour garder au chaud les racines des végétaux qui poussent au dessus !
– Habitat, maraîchage et élevage sous serre dans bâtiment auto-construit : c’est le gros projet en cours sur la ferme. Le principe est le même que pour la serre à coussin d’air (décrite un peu plus haut), mais en plus grand. C’est un bâtiment-serre avec une ossature auto-construite en troncs d’arbres bruts, des murs vitrés au sud et isolés au nord et un toit en polycarbonate. Ça chauffe, oui, mais pour éviter la canicule en été, un pan entier du toit peut s’entrouvrir pour créer une circulation d’air qui ventile le bâtiment.
Une partie est déjà aménagée en étable pour les brebis, qui en hiver prennent le soleil derrière les vitres. La maison, toujours avec murs en terre-paille, sera construite sous la serre avec un potager sur le toit. Et surtout, la partie centrale sera utilisée comme jardin tropical, hors gel toute l’année. Toutes les sources de chaleur (animaux, soleil, tunnel à galets sous la maison et poêle à bois en complément à l’intérieur) seront ainsi utilisées de façon optimale pour faire pousser des légumes même en hiver ! Pas si fou le projet de produire des bananes locales même dans le Trièves !
– Tunnel à galets : sous la future maison, des galets ont été disposés en couche et côte à côte ; ils sont en contact avec l’air extérieur grâce à un tunnel. L’été, l’air chaud arrive par le tunnel sur les galets et la chaleur se transmet doucement de proche en proche. Tout ce processus se déroule très lentement car les galets ont une grande inertie thermique. Et c’est ainsi que l’hiver, la chaleur accumulée pendant l’été par les galets est retransmise petit à petit et utilisée pour chauffer la maison !
– Réacteur Jean Pain : il permet de chauffer de l’eau circulant dans des tuyaux en utilisant l’énergie thermique libérée par la fermentation bois broyé et humidifié.
– Parabole solaire : elle concentre la chaleur du soleil en un point, et peut servir à stériliser par exemple. Après l’avoir testée quelques temps, il semblerait que ce ne soit pas l’installation la plus concluante.
– Panneaux solaires photovoltaïques : ils produisent l’électricité de la maison et de la ferme, le surplus est stocké en batteries.
– Biogaz et méthanisation : un méthaniseur est installé dans une fosse, devant le bâtiment principal. Il n’est plus en fonctionnement depuis l’incendie mais permet, grâce à la fermentation de débris végétaux, de produire du biogaz pour se chauffer ou pour cuisiner. Une fois purifié ce gaz peut alimenter des véhicules GNV (Gaz Naturel Véhicule). Plus besoin de passer à la pompe à essence ! Et cerise sur le gâteau, les restes de végétaux fermentés (le digestat) sont récupérés pour amender les sols.
Pour tout savoir sur cette installation lire “Le Biogaz- Manuel pratique” Par Jean-Philippe Valla aux éditions de Terran.
– Bélier hydraulique : c’est une méthode qui qui a été inventée en 1782 par l’un des deux frères Montgolfier. Le principe est simple : il consiste à utiliser l’énergie d’une chute d’eau pour pomper de l’eau et l’amener jusqu’à une certaine hauteur. C’est un système facile à bricoler et qui est adapté quand la quantité d’eau à remonter représente une faible proportion du débit de la chute d’eau.
Ce passage à la ferme Tournesol a été une riche expérience pour nous tant sur le point humain que pour ce que nous y avons appris et pour toutes les questions que cela nous a amené à nous poser. Ce lieu plein de projets et qui va sans cesse de l’avant donne envie de se retrousser les manches. On espère bien avoir l’occasion d’y repasser pour voir comment les choses avancent, s’équilibrent, pour découvrir quelles sont les nouvelles idées sur le banc d’essai et pour déguster les premiers fruits exotiques “Made in Isère” ! Encore un grand merci à Jean-Phi, Sophie et les deux petits loups !
By Auré.
Pour en savoir plus :
Présentation de la ferme lors d’une conférence pour l’Atelier paysan avant l’incendie : https://www.youtube.com/watch?v=KKyxH2fDJv8
Plus d’infos sur la ferme en général : http://forum.latelierpaysan.org/reconstruction-ferme-tournesol-t3449.html
Sur le réacteur Jean Pain : http://www.pierre1911.fr/2013/11/methode-jean-pain.html
Site sur la reconstruction de la ferme : https://affaire-tournesol.jimdo.com/
Vidéo sur le chantier d’autoconstruction du bâtiment : http://www.youtube.com/watch?v=Ta7HlHkAV40
1 response to "Soleil et bactéries (7)"
Comments are closed.
Bonjour Auréline et Corentin,
Je me suis beaucoup intéressée à la lecture de cet article et ai poussé la porte des sites proposés. Je pense envoyé qq liens à des amis de notre paysage breton, Après le “tout est foutu”, quel clin d’oeil à la diversité des regards sur l’état de notre monde et son évolution.
Des bises!